22 juin 2009

Histoire du Qualitatif et Marketing (fin)

L’essor des études qualitatives dans un optique Marketing se produit après la 2° guerre mondiale, en même temps que la société de consommation.  Ce n’est pas un hasard : pour que des méthodes qualitatives puissent analyser en profondeur les motivations d’un individu, il faut d’une part un marché concurrentiel fort et une offre pléthorique (pas besoin de qualitatif dans une économie de la rareté ou de survie !), et d’autre part une société suffisamment individualiste pour que l’analyse des motivations individuelles ait un sens.

Aux Usa, les techniques quantitatives et les extrapolations statistiques vont rapidement dominer. Couplées à l’influence des écoles comportementalistes et béhavioristes, elles orientent les recherches qualitatives dans des aspects  beaucoup plus concrets et plus directement opérationnels : on demande moins une analyse en profondeur des motivations et des freins des consommateurs, qu’un comptage de leurs réactions et une réponse « go/no go » permettant au client de prendre la décision de suivre ou d’abandonner son projet. Encore aujourd'hui, le qualitatif « à l’anglo-saxonne » s’inscrit le plus souvent dans ces courants comportementalistes, en privilégiant le recueil et l’analyse d’opinions considérées comme autant de faits «bruts». Et il n'est pas rare, aux Usa, en Angleterre, en Allemagne, qu'une réunion de groupe se résume à la passation d'un questionnaire collectif où on compte les avis favorables et  défavorables, quand elle ne consiste pas, comme on l'a vu parfois, à rechercher un consensus de groupe et la création d'une "opinion moyenne" ...

 C'est paradoxalement en France que l'école de Chicago va nourrir les études qualitatives, avec l'influence de la non directivité de Carl Rogers, en faisant éclore dans les années 1960 un grand nombre d'études de motivation à base d'entretiens individuels, et de recherche d'innovation utilisant les techniques de créativité. L'essor des Sciences Humaines dans la France de cette époque  constitue le terreau qui permettra cet essor du qualitatif "à la française": l'anthropologie et le passé colonial invitent à s'interroger sur les comportements différents des peuples hier dits primitifs, et aujourd'hui aux consommateurs qui représentent la nouvelle "terre inconnue"  du marketing ; la psychanalyse habitue à chercher les causes inconscientes des comportements, la linguistique et la sémiologie alors très en vogue incitant quant à eux à s'interroger sur les effets de sens latents d'un discours. 

Résultat, entre les années 1970 et 2000,  qui correspondent aux "30 glorieuses du qualitatif", les méthodologies se sophistiqueront de plus en plus en France et dans d'autres pays d' Europe, notamment en se couplant à la sémiologie pour analyser les discours publicitaires, les communications institutionnelles, les collages des participants. Elles s'inspireront également de l'ethnographie pour approfondir les comportements des consommateurs : observations des parcours et des gestes d'un individu, de son environnement avec des photos et aujourd'hui de la vidéo ; récits de vie, entretiens participatifs amenant à partager le  vécu de l'interviewé pour mieux le comprendre, études in situ, bilans après observation...  A l'époque, les séminaires d'une journée n'étaient pas rares, j'ai encore le souvenir d'avoir réalisé, pour un lessivier,  un séminaire résidentiel de 2 jours avec de braves consommatrices lambda pour réfléchir à la problématique de la saleté et à leur rapport au ménage...

La dernière décennie, de 2000 à 2009, a été marquée par un chassé-croisé et par un double mouvement:. Aux Etats-Unis et dans les pays anglo-saxons, on redécouvre les méthodologies qualitatives et explicatives "à la française", notamment parce que la recherche des fameux "insights consommateurs" implique de revenir au vécu des interviewés et de leurs problèmes, avec une démarche compréhensive et non directive. Certains reprennent même les visées ethnographiques en les poussant encore plus loin, par exemple avec les réalisations de  "vidéo-journal" par l'interviewé lui-même, en lien avec l'institut de recherche. En France, à l'inverse, le modèle anglo-saxon et la guerre des prix qui a marqué la volonté de certains instituts de devenir leaders du marché en industrialisant les études, a amené bien souvent à alléger les méthodologies, à chercher des visées plus opérationnelles, par exemple avec des groupes de 2 heures, des minigroupes, des résultats fournis dans la foulée. Même si les études fondamentales continuent bien entendu à exister, notamment les bilans de marque et de marché qui servent à faire le point et à nourrir la Recherche et développement. Signe des temps, les entretiens individuels plus coûteux et impliquant des délais plus longs, un moment sacrifiés au profit de groupes plus rentables et plus "flashy", reviennent à la mode dès qu'il faut réaliser de véritables bilans compréhensifs...

Ce chassé-croisé méthodologique témoigne d'une cross-fertilisation pleine de richesse entre les 2 modèles, anglo-saxon et français, qui garderont probablement leurs spécificités tout en évoluant. Plutôt que l'invention d'un nouveau modèle hybride, la tendance émergente semble en effet plutôt aller vers le développement, un peu partout dans le monde,  d'un qualitatif à deux vitesses: d'une part, des études ponctuelles, courtes et à visée plus opérationnelle, sur un modèle d'origine plutôt anglo-saxon, ce qui ne les empêchera pas d'intégrer des démarches projectives et des recherches de compréhension allant au-delà du simple comptage d'opinion ; d'autre part, des études approfondies reprenant le modèle à l'origine français, qui devront plus que jamais mobiliser des compétences particulièrement pointues, en répondant aux nouvelles exigences incontournables de coût, délai et réponse synthétique et opérationnelle. Un défi passionnant, qui invite dans tous les cas à une nouvelle créativité méthodologique !

24 mars 2009

Créativité méthodologique en temps de crise

Après avoir vu les limites des réunions de groupe et présenté quelques premières idées pour leur adaptation en temps de crise (cf notes précédentes, notammment sur les réunions type Tuperware à domicile), voici deux nouvelles idées pour optimiser les budgets et l'organisation des réunions de groupe:
Première idée: la réunion de groupe chez le client. A condition que les bureaux de ce dernier soient proches d'un moyen de transport en commun, et qu'il dispose de salles de réunion neutres pouvant acceuillir une dizaine de personnes (ce qui est quasiment toujours le cas), l'une des manières les plus simples d'optimiser le budget des réunions de groupe consiste à économiser les coûts élevés de location de salle en faisant venir directement les consommateurs dans les locaux du client. Autre gros avantage supplémentaire: en filmant la réunion avec notre caméra et en branchant notre propre cordon péritel sur une télévision dans un bureau voisin si le client ne dispose pas d'une glace sans tain, cela permet à nos clients d'assister en simultané à la réunion en n'ayant plus qu'à prendre l'ascenseur pour rejoindre la salle, sans perdre de temps dans les transports, et sans payer des sommes astronomiques pour une vidéoconférence ou une retransmission internet aléatoire! L'essai que nous avons réalisé dernièrement pour l'un de nos clients qui nous faisait tester une série de stimuli a magnifiquement illustré la souplesse de cette méthodologie, les différents responsables et créateurs de chaque stimulus venant successivement regarder les réactions du public à leur création, en étant libres de regarder les réactions aux autres stimul ou de repartir pour réfléchir à des pistes d'optimisation. En effet, grâce au temps gagné, une phase de re-travail des stimuli a pu être aussitôt enclenchée, et d'autres réunions être menées les jours suivants pour évaluer les nouvelles créations !
Deuxième idée: la ROM, ou Réunion après Observation Mystère. Cette méthodologie que nous avons également testée avec succès consiste à envoyer individuellement les futurs participants jouer au visiteur mystère dans l'enseigne cliente et dans l'enseigne concurrente, en leur demandant de noter toutes leurs remarques ou réflexions dès leur retour à leur domicile. On organise ensuite avec eux une réunion de groupe qui a l'avantage d'être beaucoup plus concrète, enrichie par leur expérience et leurs observations. Cette méthode est particulièrement adaptée pour des enseignes, magasins, lieux publics, tests de nouveaux concepts, en ajoutant ainsi une phase d'imprégnation et d'observation à la réunion de groupe classique.
Deux idées parmi d'autres, pour montrer que la crise représente aussi un moment idéal pour inventer et adapter de nouvelles méthodes !